Un « socialiste » à la mairie de New York?

Zohran Mamdani stupéfie l’establishment.

  • Abadie Ludlam – Revolutionary Communists of America
  • mar. 15 juill. 2025
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Séisme politique à New York : Zohran Mamdani, membre des Democratic Socialists of America, a remporté la primaire démocrate pour la mairie de la ville. Il a défait l’ex-gouverneur Andrew Cuomo, le  favori de l’establishment. Cette victoire est un autre signe des temps, alors que la crise mondiale du capitalisme pousse des millions de travailleurs et de jeunes à chercher de nouvelles avenues politiques.

Sa victoire a choqué non seulement la richissime élite du Parti démocrate, mais aussi les puissants de Wall Street. Ce que craint réellement la classe dirigeante, ce n’est pas Zohran lui-même ni ses propositions modérément progressistes. Ce qui les inquiète, ce sont les gens qui ont voté pour lui et ce que sa victoire représente. Ils ont peur qu’une partie de la classe ouvrière se sente plus confiante et galvanisée.

La nouvelle qu’un « socialiste » autoproclamé pourrait devenir maire de New York a suscité l’enthousiasme de la gauche au Québec et au Canada. Par exemple, Ruba Ghazal, porte-parole de Québec solidaire, a qualifié cette victoire de victoire « contre l’argent, contre les puissants » dont la gauche doit s’inspirer. Mais quelle devrait être la position des communistes?

Pourquoi Mamdani a-t-il gagné?

Zohran a conquis sa popularité en plaçant la crise du coût de la vie au cœur de sa campagne. Son programme proposait de geler les loyers, de rendre les autobus rapides et gratuits, d’offrir des services de garde gratuits, entre autres.

Les résultats de la primaire révèlent une profonde colère envers l’establishment démocrate. Zohran faisait face à un adversaire entaché par les scandales, l’ex-gouverneur Andrew Cuomo. Celui-ci représentait clairement le choix préféré des hauts placés démocrates. Il a récolté des millions de dollars en dons et disposait de tous les avantages que l’establishment pouvait offrir.

Mais à une époque où les démocrates sont plus discrédités et impopulaires que jamais, ces connexions ont joué contre lui. Les New-Yorkais ordinaires, surtout les jeunes, étaient avides de voter pour quelqu’un perçu comme un « outsider » politique.

Quarante-deux mille personnes ont fait du bénévolat pour la campagne de Zohran. Un tel appui actif à un candidat socialiste aurait été impensable il y a dix ans. Cela montre le désir profond, chez une partie de la population, de combattre l’establishment politique.

Les communistes doivent-ils appuyer Mamdani?

Les communistes doivent aborder la stratégie électorale avec lucidité et méthode scientifique. 

Notre point de départ doit toujours être notre objectif stratégique à long terme : la prise du pouvoir par la classe ouvrière au moyen d’une révolution socialiste, et l’établissement d’une économie planifiée démocratiquement sous le contrôle des travailleurs.

La classe ouvrière ne peut réussir dans cette lutte que si elle comprend qu’un fossé fondamental existe entre les classes et qu’elle forme une classe séparée des capitalistes, ayant des intérêts irréconciliables. Le rôle des communistes est de développer cette conscience de classe à chaque étape de la lutte. Cela implique de défendre l’indépendance de classe dans toutes les sphères. Il faut un programme, des méthodes et une organisation propres à la classe ouvrière, incluant un parti politique indépendant.

C’est ainsi que les communistes conçoivent les élections, comme un terrain de lutte dans un conflit de classe plus large. Une campagne menée ou appuyée par des communistes doit toujours contribuer à faire avancer la conscience, la confiance et l’unité de la classe ouvrière.

Le brouillage de la ligne de classe

La question centrale est la suivante : la classe ouvrière peut-elle utiliser les partis capitalistes pour atteindre ses objectifs, ou doit-elle avoir son propre parti?

Le Parti démocrate, pour lequel Zohran se présente, est une machine électorale capitaliste financée par des milliardaires pour répondre à leurs besoins. Ce n’est pas un véhicule neutre que l’on pourrait remplir de n’importe quel contenu. Tant les démocrates que les républicains sont contrôlés par la classe capitaliste pour défendre ses intérêts et son système.

Les communistes ne peuvent pas soutenir Zohran tant qu’il se présente comme démocrate. Ce serait franchir une ligne de classe fondamentale. Cela reviendrait à dire à la classe ouvrière que le Parti démocrate peut être utilisé d’une manière ou d’une autre. Or, c’est une illusion dangereuse qui mène à la défaite.

Au lieu d’éclairer les divisions de classe dans la société, se présenter comme candidat démocrate brouille cette ligne en laissant croire qu’un des partis de la classe dirigeante serait « du bon côté ».

Il y a un défaut fondamental au cœur du réformisme. Les réformistes croient pouvoir améliorer le monde sans rompre avec le système capitaliste. Par conséquent, peu importe leurs intentions, ils limitent leurs tactiques et leur programme à ce qui est « réaliste » dans les limites du système capitaliste et des partis de la classe ennemie.

Les limites du programme de Zohran

Le programme de Mamdani sera extrêmement difficile à mettre en œuvre, et il rencontrera des obstacles qui ne peuvent être surmontés que par la lutte de classe active : grèves, occupations, mobilisations massives.

En l’absence d’un mouvement combatif dans les rues, ses efforts auront peu d’impact sur les conditions de vie des travailleurs new-yorkais. En restant prisonnier du système de la classe ennemie, il sera forcé de présider à une nouvelle détérioration des conditions de vie. Le résultat pourrait bien être une vaste déception, voire un rejet du « socialisme » dans son ensemble.

Par exemple, un des points centraux de son programme est de rendre les aliments plus abordables. Pour cela, il propose un projet pilote visant à ouvrir une épicerie municipale par arrondissement, avec des prix contrôlés.

Cinq épiceries dans une ville de huit millions d’habitants ne changeront pas grand-chose pour la vaste majorité. Et même si le projet est populaire, il aura beaucoup de difficulté à convaincre la classe capitaliste de le laisser s’étendre, puisque cela concurrencerait directement les grands monopoles privés, réduisant leurs profits.

Un candidat communiste proposerait aussi de rendre la nourriture abordable, mais expliquerait que c’est la logique du profit, la propriété privée et les monopoles qui bloquent toute solution réelle à ce problème.

Un autre pilier du programme de Zohran est le gel des loyers pour les logements déjà réglementés. Mais la racine de la crise du logement réside dans les rapports marchands capitalistes. Les communistes ne sont pas opposés aux réformes qui atténuent temporairement le coût du logement, mais nous devons être clairs : seul un plan rationnel de logement public peut résoudre cette crise de manière durable.

Non seulement les méthodes de Zohran échoueront à livrer des réformes concrètes, mais elles risquent de discréditer l’idée même de socialisme, en l’associant à des promesses non tenues. La presse capitaliste n’hésitera pas à exploiter chaque échec à cette fin.

L’importance de l’indépendance de classe

Un candidat communiste dirait clairement, dès le départ, qu’il ne se présente pas pour réformer le système, mais pour aider à organiser la lutte contre la classe dirigeante, dans le cadre d’une guerre de classe visant à renverser tout le système.

Sans que l’indépendance de classe soit au coeur de son programme ou de ses méthodes, Zohran sera inévitablement poussé vers la droite, soumis à la pression de faire des compromis pour faire « avancer les choses ».

Le succès de sa campagne témoigne de la colère envers l’establishment démocrate, et du potentiel immense qui existe pour un parti ouvrier réellement indépendant. Mais en se limitant à ce qui est possible dans les cadres du capitalisme, il prépare l’échec de son propre projet. 

Nombre de ses partisans apprendront que le changement ne vient pas du fait de se dire « socialiste » ou d’avoir un programme intéressant sur papier. Il faut une stratégie sérieuse pour renverser le capitalisme, ce qui n’est pas aussi facile que de gagner une élection. La lutte contre la classe capitaliste est possible, mais elle commence par la rupture avec ses partis et par la construction d’un parti par et pour les travailleurs.