Derrière la menace d’annexion de Trump

L’idée que les États-Unis puissent annexer le Canada peut sembler absurde au premier abord. Mais il y a une certaine logique derrière les menaces de Trump.

  • Rob Lyon et Benoît Tanguay
  • jeu. 16 janv. 2025
Partager
Source : Truth Social

Le nouveau président des États-Unis, Donald Trump, a menacé à plusieurs reprises d’annexer le Canada au cours des dernières semaines. Les autorités canadiennes se sont d’abord imaginées qu’il s’agissait de plaisanteries, mais l’intention derrière les commentaires de Trump représente une menace sérieuse qui aura des conséquences désastreuses pour le capitalisme canadien.

Les commentaires de Trump sur une éventuelle annexion du Canada en tant que 51e État ont été faits dans le contexte de la menace de Trump d’imposer des droits de douane de 25% sur les exportations vers les États-Unis, ce qui aurait un effet dévastateur sur l’économie canadienne. Ces menaces ont provoqué une panique immédiate à Ottawa et dans toutes les capitales provinciales du pays. 

D’abord, les politiciens à travers le spectre politique ont essayé d’amadouer Trump, mais cela a échoué. Celui-ci en a remis, affirmant qu’il allait utiliser la « force économique » pour annexer le Canada.

L’idée que les États-Unis puissent annexer le Canada peut sembler absurde au premier abord. Mais il y a une certaine logique derrière les menaces de Trump.

L’ordre mondial bourgeois-libéral qui a triomphé après la chute de l’URSS, caractérisé par l’exploitation du monde par les États-Unis et leurs alliés sous le slogan hypocrite des « droits de la personne et de la démocratie », est en train de s’effondrer. Sous les coups de boutoir de la crise du capitalisme, l’empire américain perd du terrain, et pour le défendre, Trump laisse tomber le masque, mettant à nu les intérêts impérialistes qui ont toujours régi les relations mondiales.

Alors que le capitalisme mondial s’enfonce toujours plus profondément dans la crise, c’est chacun pour soi. Ce que la classe dirigeante canadienne est en train de découvrir, c’est que la politique « l’Amérique d’abord » de Trump veut bel et bien dire « l’Amérique d’abord » – pas « l’Amérique et ses alliés d’abord ».

Le déclin de l’Empire américain

Pour comprendre ce qui pousse Trump à adopter une approche aussi agressive à l’égard du Canada, il faut comprendre l’évolution de la position de l’impérialisme américain dans les affaires mondiales. Le pouvoir et le prestige de l’impérialisme américain ont connu un déclin relatif au cours des dernières décennies, principalement en raison de la montée de la Chine en tant que puissance mondiale, mais aussi de la montée de diverses puissances régionales, telles que la Russie et la Turquie.

Les États-Unis sont toujours la première économie au monde, mais leur déclin relatif est illustré par le fait que la part de l’économie américaine dans le PIB mondial est passée de 34,6% en 1985 à 26,3% aujourd’hui.

Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée au début des années 1990, les États-Unis sont restés la seule superpuissance mondiale. Sans le moindre rival, les États-Unis ont adopté le rôle de gendarme de la planète. Pour défendre ses intérêts, l’impérialisme américain est intervenu militairement dans de nombreux pays (Irak, Haïti, ex-Yougoslavie, Afghanistan, Libye, etc.).

L’hégémonie de l’impérialisme américain a toutefois atteint une certaine limite. La classe dirigeante américaine s’est sérieusement divisée sur la question de savoir comment faire face au déclin de l’impérialisme américain et aux changements dans la situation mondiale.

Le camp de l’establishment a tenté de maintenir l’ancien statu quo, de continuer à jouer le rôle de gendarme de la planète. Les démocrates sont devenus le parti de la guerre parce qu’ils pensent que le rôle des États-Unis est toujours d’intervenir par la force partout dans le monde, quel qu’en soit le coût.

L’aile trumpiste de la classe dirigeante américaine, quant à elle, a tiré la conclusion que les États-Unis devraient se retirer de ce rôle de gendarme de la planète et se retrancher dans leur sphère d’influence immédiate, c’est-à-dire les Amériques.

Que voit Trump? Il voit la Russie envahir l’Ukraine, étendre sa sphère d’influence et renforcer sa position. L’impérialisme américain craint que la Chine n’envahisse Taïwan. S’inspirant de ses rivaux impérialistes, Trump a conclu que les États-Unis devraient faire de même. Ainsi, fortifiés dans leur propre sphère d’influence, les États-Unis seraient en bien meilleure position pour tenir tête à leurs rivaux de plus en plus puissants au-delà de leur sphère d’influence.

Le fait que Trump parle de cesser d’intervenir dans les conflits mondiaux ne signifie pas qu’il veut arrêter de défendre les intérêts de l’impérialisme américain. Cela ne signifie pas que les États-Unis cesseront soudainement d’être impérialistes ou qu’ils cesseront définitivement de s’engager dans des conflits. Loin de là. 

Trump appelle à une politique impérialiste beaucoup plus ouvertement agressive et belliqueuse dans le voisinage immédiat de son pays, plutôt que de dépenser de l’argent pour défendre les intérêts d’autres pays. Cela explique pourquoi Trump poursuit l’idée d’annexer le Groenland et le Canada et pourquoi il veut reprendre le canal de Panama. C’est ce que signifie en fin de compte « Make America Great Again ».

Lorsque Trump regarde le Canada, il ne voit pas un partenaire subalterne loyal et utile de l’impérialisme américain. Il voit simplement un autre pays à la remorque des États-Unis. Trump voit que la majeure partie de l’économie canadienne est intégrée à l’économie américaine et pense : « Une grosse partie de leur économie est déjà à nous, mais ils s’enrichissent grâce à nous! Pourquoi ne pas simplement en prendre possession? »

Mais il s’agit d’un jeu dangereux. En essayant de maintenir la position américaine sur la scène mondiale en imposant par la force ses intérêts même contre ses alliés traditionnels, Trump risque de se les aliéner, et donc d’affaiblir encore plus la position des États-Unis. Si la loyauté du plus proche allié des États-Unis est récompensée par une telle agression, le message est clair : personne n’est à l’abri.

Déficits commerciaux, protectionnisme et crise du capitalisme

Derrière l’agressivité de Trump à l’égard du Canada se trouvent aussi des facteurs plus directement économiques. Entre la crise économique de 2008 et la crise de la COVID, les gouvernements du monde entier ont eu recours à leurs combines traditionnelles pour sauver l’économie : les dépenses déficitaires keynésiennes, les taux d’intérêt bas et l’impression monétaire. Aujourd’hui, ils sont à court de munitions. Les gouvernements sont massivement endettés, l’inflation n’a pas été maîtrisée et l’économie est toujours en difficulté.

Il leur reste donc comme solution d’essayer d’exporter la crise par le biais du protectionnisme. C’est essentiellement ce que Trump cherche à faire avec ses droits de douane sur les importations canadiennes. Les États-Unis menaient déjà une guerre commerciale contre la Chine et ont pris des mesures protectionnistes contre l’Europe.

La classe dirigeante canadienne pensait naïvement être à l’abri du protectionnisme américain. Elle est en train de comprendre ce que voulait dire Henry Kissinger lorsqu’il a dit : « Les États-Unis n’ont pas d’amis ou d’ennemis permanents, seulement des intérêts. »

Après la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme canadien a été profondément intégré à l’économie des États-Unis. Lorsque le capitalisme était en meilleure santé, les États-Unis pouvaient assurer leurs intérêts vis-à-vis du Canada par des moyens « normaux », c’est-à-dire en achetant des marchandises sur le marché et par le biais de divers accords commerciaux bilatéraux. La classe dirigeante canadienne y trouvait son compte. Elle avait un accès facile au plus grand marché du monde et a pu se mettre à la remorque du pays le plus puissant de la planète.

Mais alors que le conflit entre les États-Unis et leurs principaux concurrents mondiaux s’intensifie, l’aile trumpiste de la classe dirigeante américaine considère désormais l’intégration économique avec le Canada comme un problème potentiel.

C’est notamment avec le déficit commercial que Trump a un problème. Il n’a cessé de dénoncer le déficit commercial des États-Unis avec le Canada, qu’il qualifie de « subvention », ce qui reflète bien sa vision axée sur « l’Amérique d’abord ».

Trump et ses supporters au sein de la classe dirigeante américaine s’insurgent contre les conséquences de la mondialisation. Ils s’indignent de la perte de la puissance manufacturière et économique des États-Unis et estiment que d’autres pays, dont le Canada, en profitent.

Ils s’indignent du fait que, depuis 1975, les États-Unis accusent un déficit commercial croissant avec le reste du monde, ce qui reflète, à leurs yeux, la faiblesse grandissante des États-Unis.

Pour Trump, la balance commerciale n’est pas tant une mesure de l’activité économique qu’une mesure du rapport de force. De manière simpliste, Trump semble penser que si les États-Unis ont une balance commerciale excédentaire avec un partenaire commercial, ils sont « gagnants » dans cette relation et gagnent de l’argent sur le dos de ce pays.

Il y a une certaine logique à cela. À l’origine de la crise économique se trouve ce que Marx appelait la crise de surproduction : l’exploitation des travailleurs par les capitalistes fait que les travailleurs ne peuvent pas racheter la totalité de la valeur qu’ils produisent. Autrement dit, sous le capitalisme, la capacité de production est toujours supérieure à la demande. La production est trop importante pour être absorbée par le marché. La classe dirigeante capitaliste de chaque pays tente de surmonter cette contradiction notamment par l’exportation, qui lui permet d’accéder aux marchés d’autres pays. Lorsque cette contradiction devient intenable et qu’une crise éclate, tous les pays mènent des guerres commerciales les uns contre les autres pour imposer leurs produits sur d’autres marchés et protéger leurs marchés des autres pays. En d’autres termes, chaque pays tente d’exporter la crise.

C’est en gros ce que Trump veut dire lorsqu’il affirme qu’il ne veut plus « subventionner » le Canada. À la tête de l’économie la plus puissante de la planète, il veut tirer parti de cette puissance économique pour mettre fin au déficit commercial des États-Unis. Par exemple, il a déclaré que l’intégration des industries automobiles canadienne et américaine avait eu pour conséquence que des emplois avaient quitté les États-Unis pour le Canada, et qu’il préférait que ces véhicules soient fabriqués à Détroit. Il veut rapatrier ces emplois du Canada vers les États-Unis, ce qui revient à importer de l’emploi et à exporter du chômage.

La seule façon pour les États-Unis de redevenir le centre manufacturier du monde serait de réduire massivement le niveau des salaires et des conditions de vie. Mais c’est le contraire de ce que Trump a promis. Source: CallahanAutoCo/X

Mais les choses ne sont pas si simples. L’approche « l’Amérique d’abord » de Trump en matière de relations commerciales ne le mènera pas bien loin. Les États-Unis accusent un déficit commercial avec la plupart de leurs partenaires commerciaux. Pour inverser les déficits commerciaux avec ces pays, les États-Unis devraient développer massivement leur secteur manufacturier.

C’est précisément ce que Trump avait promis de faire lors de son premier mandat présidentiel, mais il n’a pas accompli grand-chose à cet égard. En effet, l’industrie manufacturière s’installe là où la main-d’œuvre est la moins chère.

Les fabricants ne reviendront pas en masse aux États-Unis s’ils doivent payer des salaires américains et se soumettre à une réglementation plus stricte, ce qu’ils n’ont d’ailleurs pas fait lors du premier mandat de Trump. La seule façon pour les États-Unis de redevenir le centre manufacturier du monde, comme ils l’étaient dans les années 1950 et 1960, serait d’attaquer les droits de la classe ouvrière et de réduire massivement le niveau des salaires et des conditions de vie. Mais c’est le contraire de ce que Trump a promis.

Attachez votre tuque, la récession approche

La classe dirigeante canadienne se trouve aujourd’hui dans une impasse.

Jusqu’à très récemment, les capitalistes canadiens ont bénéficié d’une position privilégiée unique dans l’histoire, en tant que bénéficiaires des empires les plus grands et les plus puissants du monde. Ils ont profité de la protection politique, militaire et économique fournie par l’Empire britannique, puis par les États-Unis, pour faire du Canada une puissance impérialiste mineure.

Les capitalistes canadiens ont profité de la protection politique, militaire et économique fournie par l’Empire britannique, puis par les États-Unis. Source : domaine public

Tout au long de la guerre froide et des décennies qui ont suivi, l’impérialisme américain s’est contenté de sa « relation spéciale » avec la classe dirigeante canadienne. Mais Trump et ses sbires en ont assez que la classe dirigeante canadienne se cache dans les jupons américains. À tout le moins, ils veulent imposer une domination politique et économique plus directe sur le Canada.

Il est impossible de savoir exactement ce qui va se passer. Mais il y a certaines choses que nous savons et qui peuvent nous aider à nous préparer aux événements futurs.

La première est la puissance des États-Unis face au Canada. Il suffit de regarder ce qui s’est déjà passé. Trump, avant même d’avoir officiellement pris ses fonctions, a contribué à renverser le gouvernement Trudeau.

Trump a brandi la menace de tarifs douaniers, puis d’une annexion, et une série de représentants fédéraux et provinciaux se sont précipités en Floride pour le rencontrer, le suppliant de ne pas appliquer ces droits de douane qui, selon les termes de Trudeau, « tueront l’économie canadienne ».

C’est vraiment là que réside la puissance des États-Unis, dans leur domination économique massive. Les économies canadienne et américaine sont fortement interconnectées, et la relation est extrêmement déséquilibrée en faveur des États-Unis. Quelque 77% des exportations totales du Canada sont destinées aux États-Unis, et 63% de ses importations proviennent des États-Unis. Bien que le Canada soit l’un des plus grands marchés d’exportation des États-Unis, les exportations vers le Canada ne représentent que 17% des exportations totales des États-Unis, et les produits canadiens représentent 13,5% de leurs importations.

Une guerre commerciale entre les États-Unis et le Canada aurait un effet désastreux sur les économies des deux pays. C’est la classe ouvrière qui en souffrirait le plus, car les droits de douane auraient un effet inflationniste et le chômage grimperait en flèche.

Interrogé sur d’éventuelles mesures de représailles de la part du Canada, Donald Trump s’est emporté et a déclaré : « Nous n’avons besoin de rien de leur part. » Cette affirmation est discutable, du moins à court terme, car les États-Unis dépendent actuellement d’un certain nombre de produits canadiens. Mais le fait est que les tarifs douaniers proposés par Trump auraient un impact bien plus important sur l’économie canadienne, déclenchant immédiatement une récession qui entraînerait la perte de centaines de milliers d’emplois.

Les droits de douane seraient dévastateurs pour les économies de la Colombie-Britannique (charbon, bois), de l’Alberta (pétrole), de l’Ontario (automobiles et pièces détachées) ainsi que du Québec (aluminium et aérospatiale).

L’industrie automobile des États-Unis et celle du Canada sont totalement intégrées, et les pièces automobiles traversent souvent la frontière plusieurs fois avant qu’un véhicule n’arrive sur le marché. Malgré les déclarations de Trump, il est peu probable que de nouvelles usines de fabrication et chaînes d’approvisionnement puissent être organisées à court terme aux États-Unis pour remplacer les importations canadiennes. Cela entraînerait des pénuries, gonflerait le prix des véhicules et pourrait même perturber complètement l’industrie automobile aux États-Unis.

Mais l’économie canadienne serait beaucoup plus durement touchée. Quelque 93% des exportations canadiennes d’automobiles sont destinées aux États-Unis, et il s’agit du premier poste d’exportation de l’Ontario, la plus grande économie provinciale du Canada.

Dans le cas du pétrole, les États-Unis sont le premier producteur mondial de produits pétroliers et un exportateur net de pétrole. L’Alberta est le plus grand producteur de pétrole du Canada et environ 87% de la production pétrolière de la province est exportée vers les États-Unis.

Les États-Unis ont besoin du pétrole canadien, encore une fois au moins à court terme, car le Canada fournit plus de 60% du brut lourd importé aux États-Unis. Cependant, les États-Unis seraient en mesure de trouver d’autres sources de brut lourd – au Moyen-Orient, en Russie ou au Venezuela. Cela pourrait s’avérer problématique pour le régime Trump sur le plan politique, et l’importation de pétrole plus lointain créerait également d’autres problèmes. Mais s’il le fallait absolument, les États-Unis pourraient trouver d’autres sources de brut lourd.

Mais les barons du pétrole de l’Alberta seraient dans une situation bien différente. Même s’ils parvenaient à trouver un marché capable de remplacer les exportations habituellement destinées aux États-Unis, ce qui est peu probable, le pétrole albertain est acheminé vers le marché par des oléoducs américains.

L’une des ressources canadiennes dont les Américains dépendent est le bois d’œuvre et les produits du papier. En 2023, le Canada a exporté pour 7,5 milliards de dollars de bois d’œuvre, qui est essentiel à l’industrie du bâtiment aux États-Unis. Le Canada fournit également environ 50 à 60% du papier journal utilisé aux États-Unis. Trump a déclaré que l’approvisionnement en bois canadien pourrait être remplacé par une industrie locale. Les États-Unis seraient éventuellement capables de remplacer l’approvisionnement en bois d’œuvre, mais il faudrait construire de nouvelles usines et organiser de nouvelles chaînes d’approvisionnement. L’économie américaine en souffrirait beaucoup, mais ce ne serait pas aussi dévastateur que pour le Canada, dont l’industrie du bois est axée sur l’exportation vers les États-Unis.

En somme, Trump est prêt à utiliser la puissance économique des États-Unis pour protéger les industries américaines et exporter le chômage. Trump a le gros bout du bâton face à la classe dirigeante canadienne. Les États-Unis pourraient prendre des mesures qui décimeraient véritablement l’économie canadienne. Toute mesure de rétorsion prise par le Canada ferait mal aux États-Unis, mais à long terme, c’est l’économie canadienne qui en souffrirait le plus.

Le début de la fin pour la Confédération?

Alors que Trump a exclu le recours à la force militaire, il a déclaré qu’il utiliserait la force économique pour annexer le Canada. Mais même si Trump utilisait une force économique telle qu’elle provoquerait un effondrement total de l’économie canadienne, comment l’annexion aurait-elle lieu? Dans quel scénario la classe dirigeante canadienne se soumettrait-elle aux États-Unis et abandonnerait-elle sa souveraineté?

Les classes dirigeantes américaine et canadienne sont des entités distinctes, avec leurs propres intérêts. Ces intérêts sont souvent concordants, mais pas toujours. Les capitalistes canadiens ont toujours su qu’ils ne pourraient jamais concurrencer directement l’impérialisme américain dans un grand nombre de domaines, et ont donc agi en tant que partenaires subordonnés. Mais lorsque l’occasion s’est présentée de pénétrer dans des sphères délaissées par les États-Unis, la classe dirigeante canadienne a suivi sa propre voie, à la grande colère des États-Unis. Ce fut le cas des relations du Canada avec l’Union soviétique, Cuba et la Chine, par exemple.

Il est donc difficile d’imaginer l’annexion de l’ensemble du Canada d’un seul coup. Au contraire, il est probable que l’on assiste dans la période à venir à un réveil du nationalisme canadien, la classe dirigeante tentant cyniquement de rallier la population à la défense de ses propres intérêts. La classe ouvrière ne doit pas se laisser séduire par ce chauvinisme hypocrite de la part de bandits qui se plaignent de voir leur part de butin diminuer.

Cela dit, la Confédération canadienne est pleine de contradictions et l’identité nationale canadienne est faible, et pas seulement à cause de la question nationale québécoise. La base économique de la nation canadienne est étonnamment faible. Deux faits l’illustrent très concrètement : premièrement, chaque province canadienne commerce davantage avec les États-Unis qu’avec les autres provinces; deuxièmement, l’intégration économique entre les provinces est extrêmement peu développée, les barrières commerciales entre les provinces étant plus fortes que celles qui existent entre les pays européens.

La gravité économique exercée sur chaque province va donc en direction du sud. Le pourcentage des exportations de chaque province allant vers les États-Unis montre à quel point l’économie canadienne en est dépendante :

ProvincePourcentage des exportations allant vers les États-Unis
Colombie-Britannique57%
Alberta89,6%
Saskatchewan55,7%
Manitoba74,4%
Ontario 85,0%
Québec73,9%
Nouveau-Brunswick93,3%
Nouvelle-Écosse65,3%
Île-du-Prince-Édouard74,4%
Terre-Neuve45,8%
Source : Bibliothèque du Parlement

Les provinces se livrent physiquement au commerce extérieur, mais c’est le gouvernement fédéral qui détient la compétence en matière de réglementation des échanges et du commerce. Un conflit éternel oppose les provinces et le gouvernement fédéral sur le contrôle des ressources provinciales et sur ce que cela signifie exactement. Face aux menaces de Trump et à la possibilité d’une grave crise économique, ce conflit devient maintenant un baril de poudre qui pourrait faire exploser la Confédération canadienne.

Cela a été mis en évidence par l’empressement immédiat de chaque premier ministre provincial à proposer sa propre solution ou à brandir ses propres menaces de représailles lorsque Trump a annoncé ses tarifs douaniers. Danielle Smith, de l’Alberta, est même allée voir Trump en Floride, tandis que Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois, a appelé le premier ministre du Québec François Legault à ne pas attendre le gouvernement fédéral et à faire de même.

D’ores et déjà, on observe des tensions entre les premiers ministres de l’Ontario et de l’Alberta. Source : MadeInCanada/X, ABDanielleSmith/X

D’ores et déjà, on observe une exacerbation des tensions entre les provinces. Quand Doug Ford, de l’Ontario, a proposé de couper les États-Unis de l’énergie canadienne, l’Alberta s’est insurgée. Les droits de douane de 25% imposés par Trump seraient dévastateurs pour l’industrie pétrolière de la province. Par conséquent, Danielle Smith s’oppose à toute mesure de rétorsion prise par le gouvernement fédéral qui affecterait davantage les ventes de pétrole et de gaz aux États-Unis. Smith a ouvertement déclaré que si le gouvernement fédéral imposait une interdiction d’exportation du pétrole albertain vers les États-Unis, cela provoquerait une crise d’unité nationale. Elle est d’ailleurs la seule première ministre à avoir refusé de signer la déclaration issue d’une réunion d’urgence des premiers ministres, précisément parce qu’elle veut retirer le pétrole de la table des négociations.

Bien que les sentiments séparatistes en Alberta ne soient pas aussi élevés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a quelques années, la haine envers le gouvernement fédéral de Trudeau est plus forte que jamais. Si Ottawa empiète sur l’industrie pétrolière de l’Alberta en promulguant une interdiction d’exporter du pétrole vers les États-Unis, cela provoquerait une forte augmentation du chômage – de même que des sentiments séparatistes. L’Alberta est déjà la province où l’adhésion aux États-Unis est la plus populaire (19%), selon un sondage Léger de décembre.

Le fait est que de nombreuses industries canadiennes ne peuvent survivre sans commerce avec les États-Unis. Si la guerre commerciale entre les États-Unis et le Canada devient suffisamment grave, chaque province pourrait tenter de négocier avec les États-Unis de son côté, pour sauver ses propres industries et sa propre économie, comme l’Alberta qui tenterait d’obtenir une exemption pour ses exportations de pétrole ou l’Ontario qui chercherait à obtenir des exemptions pour les pièces détachées d’automobiles.

Par conséquent, en cas d’effondrement de l’économie canadienne, on pourrait très bien imaginer l’éclatement de la Confédération canadienne et l’annexion à la pièce d’une ou de plusieurs provinces.

Le déclenchement d’un mouvement de masse?

En décembre dernier, un sondage Angus Reid a demandé aux gens s’ils pensaient que le Canada devrait rejoindre les États-Unis. Seuls six pour cent d’entre eux y étaient favorables. Il semble que l’affirmation de Donald Trump selon laquelle « de nombreux Canadiens souhaitent que le Canada devienne le 51e État » soit tout simplement fausse.

Toutefois, 37% des personnes interrogées ont répondu positivement à l’affirmation suivante : « Je suis attaché au Canada, mais seulement tant qu’il m’offre un bon niveau de vie. »

Cela montre que, sous certaines conditions, les difficultés économiques infligées par les États-Unis pourraient se traduire par un soutien important à l’adhésion du Canada aux États-Unis. Si l’économie canadienne s’effondre, il en va de même pour le niveau de vie – et cela pourrait se produire étonnamment rapidement. Les Canadiens pourraient considérer l’adhésion aux États-Unis comme la seule solution.

Mais cela indique également d’autres possibilités que la soumission totale ou l’annexion aux États-Unis. Il est également possible que les gens en viennent à en vouloir à Trump et aux États-Unis d’avoir imposé des difficultés économiques en premier lieu. Les gens accepteraient-ils d’être annexés par un pays qui vient de les affamer pour les soumettre?

En outre, l’effondrement de l’économie canadienne entraînerait un chômage massif et des troubles sociaux. Mais à quoi ressembleraient les troubles sociaux dans ces circonstances? Il s’agirait de grèves et de manifestations massives de la classe ouvrière pour demander des emplois, des investissements dans les services sociaux, une véritable solution à la crise, etc. Cela signifierait une période d’intense lutte des classes.

La classe dirigeante canadienne s’est déjà montrée incapable de résoudre la crise économique et se montrera incapable de faire face aux tarifs douaniers et aux menaces de Trump. Dans des circonstances d’effondrement économique et de menace d’annexion par les États-Unis, il est tout à fait possible que la classe ouvrière canadienne commence à chercher des solutions révolutionnaires à la crise, ouvrant la possibilité d’une période de lutte révolutionnaire.

À tout le moins, cela signifierait que l’adhésion aux États-Unis ne serait pas la seule option possible face à l’effondrement de l’économie canadienne. Dans ces conditions, la révolution socialiste pourrait également apparaître comme une véritable option.

Sur la base du capitalisme, il n’y a pas de véritable solution à la crise de l’économie canadienne ou à la menace d’annexion par les États-Unis. Si Trump met ses menaces à exécution, s’il y a une escalade de la guerre commerciale, s’il veut vraiment annexer le Canada par la force économique, alors il y aura une crise historique de l’économie et de l’État-nation canadiens.

Pour l’instant, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il riposterait « coup pour coup » par des tarifs douaniers. Mais l’économie canadienne ne pourra pas résister à la puissance américaine. La seule issue en bout de ligne pour la classe dirigeante canadienne sera de se soumettre d’une manière ou d’une autre aux diktats de l’impérialisme américain.

Quoi qu’il en soit, les capitalistes refileront le coût de ces attaques aux travailleurs. Nous devons nous attendre à des hausses de prix, à des attaques contre les syndicats, les salaires et les conditions de travail, ainsi qu’à des coupes dans la réglementation environnementale et les dépenses sociales. Ils se sont déjà pliés aux diktats américains en augmentant les dépenses consacrées à la « sécurité » des frontières et à l’armée – des milliards de dollars qui seront payés par des coupes dans les services sociaux.

En d’autres termes, c’est la classe ouvrière canadienne qui devra payer pour la crise de l’impérialisme américain. Notre classe dirigeante ne nous protégera pas.

Notre seule alliée dans cette situation sera la classe ouvrière américaine. Le projet déclaré de Trump d’annexer le Canada est totalement réactionnaire. Trump a gagné les élections en grande partie grâce à sa promesse de résoudre les problèmes des prix élevés et du chômage. Mais cette guerre commerciale avec le Canada ne résoudra pas ces problèmes, au contraire, elle les aggravera très probablement. La classe ouvrière des deux côtés de la frontière doit éviter le piège de soutenir sa propre classe capitaliste nationale contre l’autre.

La classe ouvrière du Canada et celle des États-Unis doivent s’unir et lutter pour leurs intérêts de classe communs contre ceux des capitalistes des deux côtés de la frontière qui n’ont fait que les amener au bord de la ruine. Unies, les classes ouvrières des États-Unis et du Canada pourraient stopper Trump dans son élan et mener une lutte commune à travers l’Amérique du Nord pour mettre fin à ce cauchemar capitaliste.